elda wicker

l’acousmonium du grm

L’Acousmonium lors de sa première représentation en janvier 1974, dans le chœur de l’église Saint-Séverin de Paris
(© KIPA 1974, dans Le concert, pourquoi, comment ? Cahiers Recherche Musique, n° 5, Paris : INA GRM, 1977)

Inventé en 1974 — à la suite d’une perte d’intérêt du public envers les concerts du GRM post‑1968 — l’Acousmonium est pensé comme un orchestre de haut-parleurs utilisé pour la projection d’œuvres acousmatiques, contrôlé par un interprète sur une table de diffusion. Cette interprétation sert plusieurs rôles : elle a un rôle correctif, pour adapter la pièce à l’acoustique de diffusion et faire écouter la pièce dans les meilleures conditions, mais aussi un rôle artistique par la manipulation et le jeu en direct avec « l’espace illusion ».

L’« espace illusion » est un concept porté par Annette Vande Gorne qui se base sur l’illusion de relief acoustique de l’effet stéréophonique. Elle l’amplifie, accentue ses mouvements et topologies en utilisant des différentes paires d’enceintes plus ou moins espacées et placées à différents endroits de la salle. On joue avec la largeur et la profondeur stéréophonique, mais aussi avec sa couleur, son timbre.

L’Acousmonium a subi beaucoup d’évolutions mais reste encore aujourd’hui au centre des concerts de l’INA grm, diffusant à la fois des pièces acousmatiques, mais aussi des performances en direct.

outil ou instrument ?

L’Acousmonium pourrait être considéré comme un système de diffusion audionumérique à première vue, mais il s’agit surtout d’un très grand instrument qui partage des similarités avec le grand orgue. Il fait partie de la famille des orchestres de haut-parleurs dont font aussi partie les acoumoniums de Motus (Paris), Musique & Recherches (Ohain, Belgique), ou le « B.E.A.S.T » (Birmingham, Grande-Bretagne). Il se compose de quatre éléments majeurs :

la console

La console de diffusion est l’élément qui différencie le plus l’Acousmonium d’autres systèmes de diffusion plus classiques. À l’inverse des consoles de mixages présentes sur le commerce qui ont pour rôle de mélanger différents signaux d’entrée pour envoyer un signal unique aux haut-parleurs, la console de diffusion prend un unique signal multipiste, le démultiplie, et l’envoie avec différentes intensités dans chaque haut-parleur. Chaque potentiomètre linéaire (fader) manipulé par l’interprète est donc un envoi vers les amplificateurs de puissance de chaque enceinte.

L’INA grm utilise depuis plusieurs années des consoles numériques prévues pour la diffusion de la musique en direct ou par radio/télédiffusion en raison de leur flexibilité et les possibilités de reprogrammation à la volée qu’elles permettent. L’« Eclipse » du fabricant français Innovason était la console utilisée depuis 2010 dans le cadre de l’Acousmonium, mais elle a été récemment remplacée par un « System T » de Solid State Logic qui apporte encore plus de flexibilité et une meilleure implémentation de l’audio sur réseau IP (Internet Protocol).

la place des haut‑parleurs

Plusieurs types de haut-parleurs sont utilisés. Certains sont des haut-parleurs large bande de référence utilisés pour restituer avec précision toutes les fréquences de la musique jouée, c’est par exemple le cas des huit « PMX » d’Amadeus. Beaucoup d’autres cependant sont des enceintes plus colorées, c’est-à-dire qui n’ont pas une restitution égale de toutes les fréquences du spectre sonore, et qui ont parfois des directivités peu conventionnelles. Ils sont utilisés à la fois pour équilibrer le spectre en fonction de l’acoustique de la salle, mais aussi comme haut-parleurs d’effets, pour accentuer différents moments de la pièce jouée et la mettre en scène.

La position géographique des différents haut-parleurs joue beaucoup dans l’expressivité possible par une interprétation sur acousmonium. Différents plans sont constitués, qui permettent d’étendre l’espace interne de la pièce en jouant sur la profondeur sur la scène, la largeur de l’espace stéréophonique, mais aussi en spatialisant les sons tout autour du public. La disposition géographique exacte des haut-parleurs change de concert en concert, en fonction des caractéristiques de la salle, des pièces jouées, mais aussi des désirs des interprètes pour réaliser différents types de mouvements dans l’espace.

Deux enceintes d'effets utilisées dans l’Acousmonium. Deux « Arbres » à gauche et une « Planète » à droite
(Elda Wicker, 08/05/2022. « FOCUS #3 » au Centquatre, Paris. Avec l’autorisation d’Emmanuel Richier, Responsable Acousmonium).

en concert

Lors du concert, l’interprète se trouve à la console de diffusion et déploie la pièce dans l’espace en jouant sur les potentiomètres linéaires. La console de diffusion se trouve au centre du public, afin que le public entende la même chose que l’interprète et qu’il se concentre sur la musique plutôt que sur l’aspect performatif de l’interprétation.

La salle est souvent très sombre avec une scénographie lumineuse assez statique qui met en avant les haut-parleurs et leurs formes parfois incongrues. Il s’instaure ainsi une sorte de qualité rituelle à l’écoute où l’œuvre émerge du silence attentif des auditeurs, se déploie dans la pénombre de la salle, et se termine avec le claquement final des potentiomètres baissés par l’interprète et les applaudissements du public.

Quelques ouvrages pour aller plus loin :
  • PRAGER, Jonathan. L’interprétation Acousmatique [en ligne]. 2014.
  • TERUGGI, Daniel. Les espaces de l’esprit. Dans : BONNET, François-Jacques et SANSON, Bartolomé (dir.), SPECTRES I. Composing listening = Composer l’écoute. Shelter Press, 2019, p. 91‑98.
  • VAGGIONE, Horacio. L’espace composable. Sur quelques catégories opératoires dans la musique électroacoustique. Dans : CHOUVEL, Jean-Marc et SOLOMOS, Makis (dir.), L’espace, musique/philosophie. Paris : L’Harmattan, 1998, p. 153‑163.
  • VANDE GORNE, Annette. L’espace comme cinquième paramètre musical. Dans : POTTIER, Laurent (dir.), La spatialisation des musiques électroacoustiques. Saint-Étienne : Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2012, p. 53‑80.
  • Le concert, pourquoi, comment ? Cahier Recherche Musique. Paris : INA GRM, 1977. Cahier Recherche Musique, 5